Depuis quelques années, les entreprises commencent à réellement prendre en considération le bien-être de leurs collaborateurs, et ont surtout compris que ce bien-être les mènerait vers la réussite et la performance globale. En 2020, nouvelle donne. Les cartes ont été fortement rebattues et l’urgence sanitaire a tout redistribué. Il n’est plus question de croissance, mais bel et bien de survie.
Des nombreux entretiens que j’ai pu avoir avec des DRH ces derniers mois, le discours qui revient est « la QVT, c’est clairement pas notre priorité. On essaie de sauver les meubles, de licencier le moins possible, réattribuer des missions, mettre en place le protocole sanitaire qui change tous les 4 matins… On n’a plus le temps et encore moins les moyens, tous nos budgets ont été gelés.»
Les entreprises n’ont plus le temps et le budget pour s’occuper du bien-être de leurs salariés. Enfin c’est ce qu’elles croient !! Le déploiement de la QVT est relégué aux oubliettes et c’est pourtant une erreur.
En cette période de crise, le bien-être des collaborateurs ne doit pas être oubliée, mais repensée. La démarche QVT doit répondre à de nouveaux enjeux, très forts. Il ne s’agit définitivement plus d’actions de « surface » mais bel et bien d’aller en profondeur, rechercher ce qui apporterait réellement du bien-être à vos salariés, au regard de la crise qui dure.
Managers et collaborateurs sont en perte de repères, la frontière vie perso et pro a littéralement volé en éclats, leurs besoins sont différents, et surtout les moyens de réponses sont différents.
Voici quelques axes prioritaires pour réinsuffler une bonne dose de bien-être dans le quotidien de vos équipes.
#1. Libérer la parole
Ce point est fondamental et surtout la première étape pour tout ce qui va suivre. Il est aujourd’hui plus que jamais indispensable de permettre à vos collaborateurs exprimer leurs ressentis, leurs freins, leurs succès. Tout.
Pourquoi ? D’abord parce qu’ils en ont besoin.
Aussi parce que c’est une occasion unique pour adapter et transformer votre organisation avec ceux qui la composent et la font grandir au quotidien, réunis par des valeurs communes.
En tant que dirigeant, vous ne pouvez plus vous permettre de croire que la pandémie terminée, vous reprendrez votre petit train-train comme avant. Tout aura changé. A vous de savoir dans quelle direction vous souhaitez aller, qui est à même de vous suivre, de vous accompagner ou même de vous souffler de nouvelles idées. Vos collaborateurs ont mille talents inexploités et pourtant très utiles. La vision de certains (les zèbres atypiques, dont vous ne savez que faire en temps normal, pour ne citer qu’eux) peut vous aider à adapter votre business, et ne pas devoir mettre la clé sous la porte. Dans cette optique, les personnes au chômage partiel ont alors toute leur place pour se sentir à nouveau utiles et partie intégrante de l’entreprise, même si leur fonction actuelle est momentanément en sommeil.
Ecouter les idées et écouter leurs tracas. Certains collaborateurs qui vivent mal cette situation et ne peuvent l’exprimer. Si vous ne faites rien, c’est une cascade de burn-out en perspective (pour rappel, la France est le 2e pays au monde dans ce domaine après le Japon), des départs, des arrêts maladie… Et immanquablement, votre performance globale sera impactée.
Il existe de nombreux moyens pour le faire. Pour choisir le plus efficace, pertinent et utilisé par vos collaborateurs, le meilleur moyen est de leur poser la question… et de commencer la libération de la parole par là. Plusieurs options s’offrent à vous pour libérer cette parole. Il existe des applications. Très pratiques, elles proposent l’anonymat des utilisateurs et permettent de « vider son sac ». Inconvénient : cet anonymat, justement, qui peut faire dire tout et n’importe quoi, et l’absence de solutions. Il appartient à la hiérarchie, la DRH de démêler le vrai du faux et de proposer des actions correctives.
Vous pouvez également faire appel à un coach, ou un psychologue du travail. De nombreuses formules et forfaits existent pour accompagner vos collaborateurs qui en ont besoin. Vous pouvez enfin mettre en place des groupes de parole internes, librement organisés ou supervisés éventuellement par un coach, ou un animateur en intelligence collective.
Chacune de ces solutions présente des avantages et des inconvénients, et à chaque entreprise de trouver ce qui lui convient. Vous l’avez compris, peu importe la forme, du moment que celle-ci convient aux salariés et qu’elle permet vraiment de s’exprimer sans crainte.
#2. Accompagner le management
Tout le monde est en perte de repères. Dirigeants, managers, collaborateurs. Tout le monde doit en même temps et subitement apprendre à travailler différemment. Le rapport au temps, au travail et aux autres est chamboulé et suscite de très nombreuses questions.
Quel est le sens de mon travail ? Quels en sont les avantages et les inconvénients ? Pourquoi suis-je plus rapide ou plus lent pour une tâche ?
Avec cette crise qui dure, certains réalisent que le sel de leur job, c’était les relations, les déjeuners, les pauses cafés, et que le travail en soi n’était pas très épanouissant. D’autres au contraires sont délivrés de cette contrainte sociale, gagnent en productivité et profitent de cette nouvelle situation pour redonner enfin du temps à des choses extérieures et nourrissantes pour eux, ou d’avancer sur des projets importants et chronophages, peu compatibles avec leur métier au quotidien.
En tant que manager, la question de l’interaction est encore plus fondamentale. Un manager encadre et accompagne une équipe. Comment faire pour continuer cette mission si riche avec la distance ? Certains trouvent leurs marques facilement et d’autres moins. Le télétravail met très souvent en lumière des soucis pré-existants, auparavant masqués par le présentiel.
Nombre de managers n’avaient pas l’habitude de manager à distance, et aucun dans un contexte aussi anxiogène. Moins de 10% des cadres pratiquaient le télétravail de manière régulière avant la crise de 2020. Plus des 2/3 le font aujourd’hui, et la pandémie ne leur a pas demandé leur avis ni même laissé le temps de s’y préparer sereinement.
Face à cette crise sans précédent, le manager est avant tout un humain comme les autres, démuni, tiraillé entre la peur de la maladie, la nécessité de continuer sa mission malgré la distance. A cela s’ajoute la pression des résultats, plus que jamais, car si l’entreprise doit licencier, il n’a pas envie d’être dans la charrette par les temps qui courent.
En tant que dirigeant ou DRH, il est indispensable de proposer un accompagnement à vos managers. Si la parole est libérée, alors ils exprimeront leurs besoins, que ce soit pour mieux s’organiser, communiquer, ou travailler sur des soft skills indispensables en ces moments troublés.
#3. Recueillir les besoins réels des collaborateurs
Ici, il est question de besoins purement matériels qui peuvent aider à la mise en place effective du télétravail. Tous vos collaborateurs n’ont pas de bureau avec chaise réglable à leur domicile. Certains n’ont pas de pièce isolée non plus. Cela parait anecdotique mais je peux vous promettre que si leur seul espace de travail disponible est le lit ou le canapé, il faudra vous attendre à ne pas toujours réussir à les joindre du premier coup après la pause déjeuner.
Evidemment, vos budgets ne sont pas extensibles voire ont été grandement réduits ou gelés et il ne sera pas possible d’apporter le confort optimal pour tout le monde.
Encore faudrait-il ne pas fantasmer ces besoins. Pour ensuite voir ce qui est faisable ou non. Et vous vous rendrez compte que vous pouvez améliorer leur cadre de télétravail sans dépenser des fortunes.
Vous pouvez fournir des chaises de bureau, ou des tablettes pour ordinateur portable. Certaines entreprises ont équipé leurs collaborateurs du SAV de casques à réduction de bruit (300 euros environ), d’autres ont opté pour le ballon de grossesse pour soulager le dos, ou ont tout simplement décidé de participer à hauteur de 20 euros par mois et par collaborateur, pour compenser la hausse de consommation d’électricité. Les besoins n’étaient pas les mêmes pour tous, et surtout ils avaient été clairement recueillis et identifiés en amont.
#4. Etre attentif à la fatigue et aux nouvelles charges mentales
Cette pandémie, annoncée comme une crise sanitaire printanière se révèle être une situation qui s’inscrit dans la durée. Pire encore, on ne sait pas si on en sortira, ni quand et encore moins dans quel état (c’était la minute à mi-chemin entre lucidité et déprime, mais nécessaire)
A la joie de la découverte de Zoom, Teams et consorts, se succèdent aujourd’hui lassitude et fatigue de devoir parler via un écran, l’absence de sas de décompression entre le bureau et la maison, l’inquiétude omniprésente et les changements de procotole sanitaire réguliers…
Une DRH me confiait récemment que la moitié des professeurs de sa fille, en 5e, sont absents depuis la reprise en novembre. Pour ne pas la laisser 5h d’affilée en salle de permanence, elle multiplie les allers-retours, et autant de plages de déconcentration/reconcentration qui lui donnent la sensation de ne pas avoir avancé de la journée. La situation de télétravail forcé n’allège pas la charge mentale du temps de trajet, elle la remplace par d’autres éléments tout aussi forts et épuisants sur le long terme.
La peur de la maladie (et de la mort, in fine) est omniprésente, l’atmosphère est anxiogène. Aller faire ses courses, qui devrait faire plaisir puisqu’on sort et on voit du monde, est en fait une épreuve en soi. Penser à se protéger, protéger les autres, en permanence, ne plus voir les visages complets (combien de personnes n’avez-vous pas reconnu depuis la rentrée, avec le masque ?), cette déshumanisation, couplée à celle du travail à distance, crée de nombreux dégâts psychologiques.
En tant que dirigeant ou manager, l’hypervigilance de vos collaborateurs a des répercussions très importantes sur leur bien-être, et donc sur leur travail. Il est nécessaire de recréer du lien et de permettre, encore une fois, l’expression d’un malaise. La prévention des RPS est plus qu’une obligation légale, c’est un devoir moral et humain.
#5. Adapter l’onboarding et l’offboarding
Si vous avez la chance de recruter en ce moment (oui, au regard de la crise qui frappe, c’est une vraie chance), vous devez prendre soin d’accueillir vos nouveaux collaborateurs et ce malgré la distance.
Pour qu’il se sente accueilli et attendu, il est préférable de livrer à votre nouveau collaborateur le matériel la veille de la prise de poste, avec un petit mot du manager ou du P-DG. Cette marque d’attention sera très appréciée. Vous pouvez également organiser une visio d’accueil pour lui souhaiter la bienvenue, lui présenter ses principaux collègues et interlocuteurs des autres services.
Enfin, nommer un ambassadeur, ou un référent (autre que le manager) disponible pour toute question pratique, peut s’avérer gagnant. La nouvelle recrue ne se sent pas « lâchée dans la nature » et le tuteur, qui connaît déjà bien l’entreprise et ses rouages, peut l’aguiller facilement, voire lui éviter les foudres de certains. En juin, un ingénieur m’écrivait qu’il avait démarré sa mission en télétravail et n’avait rencontré les membres de son équipe qu’au bout d’un mois et demi, et ce à son initiative. Difficile de prendre ses marques et de se sentir intégré dans de telles conditions.
Si malheureusement vous devez vous séparer de certains collaborateurs, il vous faudra faire preuve de délicatesse dans l’annonce et d’accompagnement pour la suite. La tâche est souvent délicate et ingrate, et elle l’est encore plus en ces temps difficiles, où plus que jamais, l’avenir est incertain.
Le modèle à ne surtout pas suivre ? Uber, qui a licencié 3000 chauffeurs en 3 minutes via Zoom.
Là encore, il est nécessaire d’investir du temps et de l’énergie positive pour que ce départ se fasse dans les meilleures conditions possibles. Vous pouvez organiser une cagnotte de départ en ligne, confier votre collaborateur à un cabinet d’outplacement, ou l’accompagner dans la mise en place de sa nouvelle structure si l’aventure entrepreuneuriale le tente.
Conclusion
Ce n’est pas parce que c’est la crise et que l’on est dans l’urgence et dans la peur, qu’on doit reléguer le bien-être des collaborateurs aux oubliettes, et c’est même tout le contraire. Il faut redoubler d’effort pour que tout le monde traverse cette crise avec le moins de dégats possible. On l’a vu, la QVT ne rime pas forcément avec grosse dépense, mais plutôt avec créativité et bon sens.
Malgré un contexte très difficile, la QVT n’est pas morte, bien au contraire. Elle se réinvente sur de nouvelles bases, plus solides et résolument tournées vers l’humain. Il était temps !