Exactement comme la marche pour les enfants, la bienveillance s’apprend (à tout âge!) et comme tout apprentissage, demande des efforts.

N’en déplaise à ses détracteurs, la bienveillance n’est pas aussi simple voire simpliste qu’il n’y paraît.

Mais voyons pourquoi il semble parfois si compliqué d’être bienveillant.

1ère raison : parce qu’on vient de très loin

Dans notre société, et plus largement, dans l’histoire de l’humanité, la bienveillance n’est pas quelque chose d’inné ni d’ancré. La violence sous toutes ses formes a toujours fait partie de l’éducation et du quotidien. Notons que la violence était en premier lieu un comportement de survie à l’époque de la préhistoire, et bien longtemps après. Tué ou être tué.

Aujourd’hui, le quotidien de millions de Français n’est pas à proprement parler de survivre (sauf peut-être quand on dépend de la ligne B du RER aux heures de pointe…) mais de travailler et de « gagner sa vie », vivre confortablement, avoir des loisirs etc. La violence n’est donc a priori pas une nécessité absolue dans nos quotidiens. Et pourtant… Qui n’a jamais crié sur ses enfants ou sur ses collaborateurs, de manière virulente ?

Il y a encore un long chemin pour passer de la violence à la bienveillance comme base de rapport à l’Autre. Un chemin bien difficile, car il implique un véritable changement.

 

2e raison : parce qu’il faut tout déconstruire

Passer de « on a toujours fait comme ça» à la bienveillance, il y a un monde, que dis-je, un univers !

Tout d’abord, nous devons prendre conscience de nos croyances issues de l’éducation que nous avons reçue et de nos expériences de vie, ce qui s’accompagne souvent d’un sentiment de culpabilité. Accepter d’avoir été malmené, d’avoir « subi » ou d’avoir infligé des comportements n’est jamais simple.

Si on envisage d’abord l’éducation, la remettre en question est une véritable gageure, et ce même si nous en avons souffert. Il n’est qu’à voir combien d’enfants battus trouvent des excuses pour justifier les actes de leurs parents et continuent de les aimer malgré tout. Alors imaginez la difficulté d’une remise en question de toute une éducation, même si nos parents n’avaient pour objectif que de nous mettre sur un chemin sans se soucier de nos réelles envies et encore moins de nos émotions… quel travail !

Quant à nos expériences, à force de mal les vivre, nous hésitons à en tenter de nouvelles : et si c’était à nouveau un échec, d’autant plus cuisant que nous avons été « assez bêtes pour y croire » encore une fois ?

De la prise de conscience, on passe vite à un regard critique, parfois dur, sur ceux qui nous ont aidés à grandir (parents, professeurs, premiers managers…).

Cette prise de conscience aboutit donc à en vouloir à l’autre de nous avoir fait du mal, et à nous-même de nous être autorisés à le subir. Cela peut être douloureux, car les ressentis peuvent être très forts, et perdurer, mais c’est une étape nécessaire pour quiconque change vraiment au fond de lui, ou en tout cas laisse émerger ce qui lui fait vraiment du bien.

 

3e raison : parce qu’il faut travailler sur soi

Rassurez-vous, un travail sur soi ne signifie pas 4 ans de thérapie et la bienveillance est à la portée de tout le monde. Cependant, pour l’atteindre, il faut travailler sur nos émotions et nos besoins, afin de pouvoir les identifier chez nous et chez les autres.

Concrètement, comment est-ce qu’on « travaille » sur nos émotions ?

Cela suppose de mettre des mots sur celles-ci, au quotidien. Par exemple, savoir dire « Je suis en colère » plutôt que « tu m’énerves ! » (merci la Communication Non Violente, bien plus qu’un outil, mais un réel mode de vie)

Pratiquer cette gymnastique implique de prendre du recul sur ce que l’on ressent. Cela permet d’exprimer et de libérer nos émotions.

Et ce point est capital. Quand l’émotion est étouffée, refoulée, tout finit par ressortir, tôt ou tard. Cela mène à des explosions de fureur pour des faits anodins, voire à des burn-out, j’en passe et des pires.

Et comme l’émotion est une réaction physiologique, il est nécessaire de l’exprimer en la nommant et de l’associer à ce qui se passe dans notre corps. Cela aussi s’apprend et demande du temps et une vraie conscience de soi (pleine conscience diront certains).

Observons par exemple comment notre corps réagit lorsque l’on est en colère : ça commence par une hyperactivation et une préparation immédiate pour l’action. Augmentation de l’activité cardiaque, du tonus musculaire, de l’amplitude respiratoire, de l’adrénaline dans le sang, de la tension cognitive : nous voilà sur le pied de guerre, prêt à plonger dans la bataille ! On comprend vite qu’identifier ces signes nous permet de faire les meilleurs choix en termes de comportement.

Pour l’anecdote, récemment, j’ai assisté à une table ronde sur l’intelligence émotionnelle et artificielle. Dans l’assistance dont je faisais partie, le débat était passionné, tout le monde avait son avis sur ce sujet si délicat. Je suis très sceptique sur les fins et utilisations que l’homme fait de cette puissance de calcul qu’est l’IA. A un moment, un des conférenciers prononce cette phrase « Bientôt l’IA pilotera nos émotions » avec un large sourire. J’ai littéralement senti mon sang se figer, mon cœur s’emballer pour le faire rapidement affluer vers mes jambes. En 2 secondes, j’avais compris que cet homme me faisait peur. La meilleure solution immédiate ? La fuite ! J’ai donc quitté la salle sur le champ, pour me mettre « à l’abri ».

Aujourd’hui, les avancées des neurosciences nous permettent de mieux comprendre nos émotions. Et ainsi d’avoir les moyens de faire évoluer vers davantage de bienveillance nos pratiques de management et d’éducation. L’intention n’est pas d’être zen en permanence mais bien de prendre conscience de nos émotions pour pouvoir les recevoir et éventuellement accompagner celles des autres. Personne n’est parfait, essayons simplement de donner le meilleur de nous-mêmes !

 

4e raison : parce qu’il faut faire la paix avec son ego

Bouh l’ego, ce vilain qui nous empêche d’être gentil… Il faudrait tuer l’ego, à en croire certains. Mais pour moi, bien au contraire, si l’ego est là, c’est qu’il y a une raison. Il a une réelle utilité, mais doit être remis à sa place, tout simplement.

La bienveillance commence par soi, et donc (aussi) par son ego, au bon sens du terme.

Pour Platon, le méchant (kakos) fait du mal aux autres parce qu’il ne s’entend pas avec lui-même. Règne alors la cacophonie (kako-phonia), un désordre interne qui tient au fait que ce sont les désirs les plus sauvages qui prennent le dessus et non la sage raison qui équilibre tout. C’est pour cela que Socrate recommande avant tout de « prendre soin de son âme ».

 

En conclusion

Vous l’avez compris, la bienveillance demande pas mal d’efforts : prise de conscience, lâcher-prise, changement, choix (et choisir, on le sait, c’est élire et non renoncer).

La bienveillance est donc un travail de tous les jours, qui s’apprend grâce à l’expérience. Et lorsque les a priori, les jugements et les croyances sur celle-ci sont tombés, on y découvre une fabuleuse voie pour vivre des relations harmonieuses dans le respect de tous.

Finalement, la bienveillance, loin d’être une faiblesse d’esprit, est avant tout du bon sens.

Exactement comme en avion. Lorsqu’on nous explique les consignes de sécurité, on nous dit bien en cas de dépressurisation de la cabine (situation on ne peut plus périlleuse) de mettre en premier son masque à oxygène avant d’aider son voisin : bienveillance bien ordonnée commence par soi-même !