En matière de virage du monde de l’entreprise, 2020 sera l’année du télétravail ou ne sera pas !! Exit la « transformation digitale » (au passage on dit « numérique » en français…) qui veut mettre l’humain au cœur (au cœur de quoi, ça reste à définir… bref !)

Forcément, la crise sanitaire du printemps, et sa prolongation en « situation sanitaire » ont rebattu les cartes du monde du travail dans sa globalité, et du télétravail en particulier.

Je ne débattrai pas des avantages et inconvénients du télétravail, il y a assez de littérature sur le sujet, et surtout, je crois profondément que c’est à chacun de faire de son mieux pour trouver son équilibre. Non pas en lisant tout et son contraire, mais en écoutant ses besoins propres, et en essayant de les conjuguer avec les directives de son employeur, les nécessités de son poste et la réalité de sa vie globale. (oui, pour beaucoup de personnes, le télétravail est tout simplement impossible, mais en plus, y a pas que le travail dans la vie).

La mise en place du télétravail, d’un point de vue technique, pratique et logistique, a pu être un défi, car les entreprises n’étaient pas forcément prêtes. Il a fallu accompagner la mise en place, équiper les collaborateurs, parfois sécuriser les connexions, et en effet, les premiers mois ont pu être légèrement chaotiques.

Maintenant, cela fait 6 mois que les entreprises ont dû adopter ce mode de travail, à plus ou moins grande échelle, et pourtant, ce sujet reste un débat.

Alors c’est quoi le problème avec le télétravail ? Pourquoi tout le monde en parle, et avec autant d’avis tranchés ?

Entre « vive le 100% télétravail » et « les gens ont besoin de se voir pour être performants en équipe »…. Entre « les gens travaillent plus car ne perdent plus dans les transports » vs. « L’équilibre vie pro perso est encore plus difficile à atteindre en bossant dans le salon », il y a de quoi perdre son latin.

Et si la question de fond dans tout ça, n’était pas le télétravail en lui-même, mais tous les autres problèmes de management et d’organisation qu’il met au grand jour ?

 

#1 : Le micro-management

Certains managers ont du mal à faire confiance à leurs équipes. Cela vient essentiellement du fait qu’ils ne se font suffisamment confiance à eux-mêmes pour réussir leur mission. Donc ils font quoi au bureau ? Ils passent une tête mine de rien, checkent les dossiers, vérifient le suivi budgétaire en permanence, relancent 12 fois y compris avant l’horaire fixé pour un point sur un dossier. Ces gens sont dans l’hyper contrôle permanent. Ce sont des managers omniprésents.

Avec la mise en place du télétravail, les choses se compliquent. Plus possible de passer une tête dans le bureau, « histoire de ». Du coup, comment font-ils pour continuer de surveiller leurs équipes? Ils demandent d’allumer la webcam le matin, d’envoyer des mails avant et au retour de la pause déjeuner, font des Zoom, Teams et autres Meets toute la journée pour être sûrs que leurs équipes ne jouent pas à la playStation ou ne font pas leurs courses pendant leurs heures de travail.

A défaut d’être dans la maîtrise de leur rôle de manager, ils continuent d’être dans le contrôle, et surtout dans le micro-management via le téléphone, les mails, plutôt que de venir dans le bureau physiquement.

Ce n’est donc pas le télétravail le problème, mais bel et bien ce type de management qui flique et coupe toute motivation, implication et envie de progresser. Le télétravail ne fait que révéler au grand jour un problème déjà présent mais relativement masqué (pardon pour le jeu de mots) par le caractère présentiel de la vie de bureau.

 

#2 – Le présentéisme

C’est le grand mal français. Rester au bureau jusqu’à 18h30 minimum pour ne pas avoir à entendre « tu as pris ton après-midi ? » en partant avant. Etre au bureau, pour donner l’impression que l’on est actif, que l’on a beaucoup de boulot. Pour information, selon une étude, les employés passent en moyenne 53 minutes par jour sur le net pour des raisons personnelles. Ce n’est pas du temps de travail mais du temps de présence.

Avec le télétravail, c’est difficile de faire acte de présence (sauf si notre manager impose le branchement de la webcam en permanence, évidemment) On fait notre boulot, souvent plus vite car moins dérangé par les collègues (qui ne débarquent pas à l’improviste mais envoient des mails).

On ne reste donc plus pour rester, et il n’y a même plus le prétexte d’un départ décalé pour eviter les embouteillages puisqu’on est déjà rentré (oui je sais c’est facile). Et on se rend compte que cette présence pure n’était pas forcément une bonne chose. On reprend du temps pour d’autres aspects de notre vie, sans pour autant délaisser notre travail.

 

#3 – Manque d’organisation : on ne brasse plus de vent

Qui n’a jamais croisé un collègue tout le temps « sous l’eau », débordé et en retard, qui court dans les couloirs de 9h à 18h ? Ce manager sur-sollicité qui n’a pas le temps d’avancer sur ses dossiers parce qu’il est sans cesse dérangé ? Soit par le téléphone, soit par une réunion de dernière minute, soit parce que ses collaborateurs sont « incapables de se débrouiller tout seuls » ?

Vous connaissez ce manager qui brasse beaucoup de vent à défaut de ventiler les dossiers et projets ?

Avec le passage au télétravail, ce manager devrait être des plus performants, serein, calme et détendu, puisque plus personne ne l’empêche d’avancer à chaque minute de la journée. Bien souvent, ce n’est pas le cas. En fait, ce genre de manager se noie dans une goutte d’eau et ne sait absolument pas s’organiser. Il répond à toutes les sollicitations de peur de passer pour un mauvais manager en ne le faisant pas. Pour un collaborateur, cela peut s’avérer pratique et rassurant d’avoir un « super manager », même si, sans s’en rendre compte, cela infantilise et empêche de réellement progresser dans son job.

Télétravail forcé ou non, il est très difficile de déranger son manager toutes les 5 minutes à distance. Les collaborateurs font un mail, puis se rendent compte que ce n’était pas urgent, voire qu’ils peuvent trouver la solution sans aide.

Au lieu de faire une danse de la joie dans son salon à l’idée de pouvoir bosser tranquille, le manager se sent désœuvré, voire inutile.

Comment remédier à cela ? Le manager doit continuer de suivre, épauler ses équipes et se tenir à disposition si le besoin se fait sentir (pour eux, et non pour lui.) Et petit à petit, reprendre la main sur les dossiers et projets qui demandent temps, énergie et concentration.

 

#4 : Le manque de dialogue et de vision à long terme

J’aurais pu mettre ce point en numéro 1, mais je me suis dit que fâcher les dirigeants d’entrée de jeu n’était peut-être pas une bonne idée, allez savoir pourquoi.

Certes il y a eu la soudaineté des mesures et la rapidité à laquelle il a fallu s’adapter. Du jour au lendemain, tous à la maison. Et pour certains, devoir continuer de travailler depuis le salon, avec les enfants et tout en assurant la continuité pédagogique. Vaste programme!

Mais si le télétravail avait été une pratique plus courante, voire habituelle, pour tous les métiers où cela est possible, les mesures auraient moins eu l’apparence d’un coup de massue.

Il appartient aux dirigeants, en accord avec les collaborateurs, de fixer ce genre de cap dans leur entreprise. De voir les bénéfices pour tous (moins de transport, donc moins de pollution pour ne citer que celui-ci) et encourager managers et collaborateurs dans cette voie.

Or force est de constater que ce n’est pas le cas, car en 2017, seuls 7% des cadres et moins de 3 % des non cadres pratiquaient le télétravail 1 à 2 jours par semaine (Insee – Source : Dares-DGT-DGAFP, enquête Sumer 2017.)

Des nombreux échanges que j’ai pu avoir ces dernières années, le frein au télétravail vient souvent de la direction et du management immédiat, plus que du collaborateur. Pour des raisons évoquées notamment plus haut, mais aussi parce que l’intérêt pour les décideurs était très limité, voire nul. Alors que la perspective de s’éviter environ 1h30 de transport en communs pour les collaborateurs (à Paris et dans les grandes villes, où les postes sont plus facilement adaptables au télétravail) était un bénéfice évident.

A mon sens, le travail d’un dirigeant n’est pas uniquement de générer du CA, du profit et de la croissance d’une année sur l’autre, mais bel et bien de penser à la performance de son entreprise sur le long terme. Cette performance globale passe notamment par le bien-être des salariés qui œuvrent pour elle. Rester dans sa tour d’ivoire est le meilleur moyen de se planter, et le télétravail ne sera pas la cause de cet échec, mais bel et bien une mise en lumière de cette incapacité à dialoguer avec ses équipes pour leur transmettre une vision et s’adapter à leurs besoins.

 

 #5 – Incapacité à fédérer et motiver ses équipes

Le management par la terreur, ça vous parle ? C’est le comportement d’un manager qui hurle après ses équipes, les menace, leur met la pression pour atteindre les objectifs, et « obtenir le meilleur d’eux-mêmes », vous diront-ils. Oui ces managers, même s’ils ne sont pas légion, existent encore.

Pour eux, le télétravail est un problème. En effet, ils ne peuvent plus vociférer à pleins poumons dès que ça ne va pas. La faute au micro que l’on peut couper en Zoom.

Ils ne peuvent plus menacer leurs collaborateurs entre deux portes et « quatre’z’yeux », ils sont au chaud chez eux et la conversation peut être enregistrée.

Si ces managers arrivaient à leurs fins, et ce par tous les moyens, avant le télétravail, la mise en place de ce dernier va contrarier et compliquer, voire anéantir leur pratique. Mais en aucun cas le télétravail n’est le problème en lui-même, ce n’est que le révélateur d’un management toxique qui ne peut plus s’exprimer.

 

Conclusion

Le télétravail a bel et bien causé des turbulences dans le monde de l’entreprise, car personne ne s’y était vraiment préparé, en tout cas pas de cette manière. Peu d’adeptes au quotidien et beaucoup d’inquiétudes à son sujet avant la crise.

Ces secousses de 2020 n’auraient dû être que logistiques, techniques, pratiques. Le télétravail ne devrait plus être un sujet de débat aussi vif et tranché après 6 mois de crise sanitaire.

Mais l’humain n’est qu’humain et parler de ce sujet n’est qu’une manière de se détourner des véritables enjeux et problèmes de management au sein des entreprises, de désigner un coupable parfait plutôt que de se pencher sur les vraies questions, celles qui fâchent et qui permettent ensuite de progresser.